Apple Vision Pro sera un flop gigantesque

Un des principes de base du marketing grand public est qu’un produit doit avoir une USP, Unique Selling Proposition, c-est-à-dire que sa raison d’être doit pouvoir tenir en une phrase simple et convaincante.

Si le concepteur d’un produit ne peut pas dire simplement après tout le temps qu’il a passé dessus à quoi il sert, c’est mauvais signe, de plus ça priorise les fonctionnalités à développer, et dans un monde où le consommateur est bombardé de messages publicitaires, ça lui laisse une chance de ne pas être oublié dans les 10 secondes qui suivent le message.

Mais comme toute règle, elle a des exceptions, rares, les plateformes, à savoir les produits multi-usage: ordinateur, smartphone,… que l’on achète sans savoir à quoi précisément on va s’en servir, parce que ces usages sont multiples.

Qu’est-ce donc qu’Apple essaie de nous vendre ? Un produit ou une plateforme ?

Apple, 1ère capitalisation au monde avec 2800 milliards de $, est depuis longtemps en recherche d’un relais de croissance. On connait les grands produits de son histoire, le Mac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad, l’Apple Watch. Après avoir décidé en se limitant à l’Apple TV, le « hobby » de Steve Jobs, de ne pas entrer dans la télé connectée, et un peu déçue par l’Apple Watch qui tourne autour de 6-7% de son CA et sans doute moins de sa marge, on sait qu’Apple regarde le marché de la voiture autonome, mais que ce dernier n’est pas encore mûr.

Le malheur d’Apple est d’être maintenant tellement grosse qu’elle ne peut pas continuer à croître avec de simples produits, aux marchés limités face à ses ambitions. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec l’Apple Watch, qui reste essentiellement achetée comme une montre avec des fonctions de fitness.

Et donc Apple cherche à nous vendre son Apple Vision Pro comme une nouvelle plateforme informatique.

  • C’est clair à travers son prix élevé pour un nouveau produit grand public, 3500 €, à travers son marketing de lancement, « an entirely new spatial computing platform« , à travers les usages présentés : productivité, navigation internet, communication, capture vidéo 3D, divertissement, films et jeux, etc…
  • C’est clair aussi à travers les investissements réalisés, on parle en milliards de $, de 5000 brevets déposés, d’un nouvel OS dédié et le produit obtenu est technologiquement impressionnant et très complet.
  • Et c’est clair, aucune « killer app » qui en ferait un produit avec un usage bien identifié.

Mais voilà, Apple n’y arrivera pas.

Apple n’arrivera pas à vendre ce nouveau concept de plateforme

D’abord, c’est extrêmement difficile de créer un nouveau concept de plateforme.

Quand le Mac a été lancé (1984), les micro-ordinateurs personnels existaient déjà depuis presque dix ans. Quand l’iPhone a été lancé (2007) c’était plutôt un deux-en-un (téléphone + iPod), plus une fonction navigateur pour les rares geeks connectés, et il faudra attendre 3-4 ans pour que les ventes décollent, sur un concept de plateforme multi-applications. L’iPad (2010) a été un succès grâce à un prix très tiré (499$) et en bénéficiant des développements de l’iPhone. Comme vu l’Apple Watch a réalisé une performance commerciale très honorable (Apple représente 40% du marché des montres connectées) mais reste avant tout …une montre connectée, c’est-à-dire un produit de standing avec des fonctions forme et santé.

Ensuite, qui dit plateforme, dit multiplicité d’usages dans des situations multiples.

Et c’est là que le bât blesse.

Quel nouvel usage ?

Qu’est-ce qu’on peut faire avec l’Apple Vision Pro que l’on ne peut pas déjà faire ?

On voit bien la rupture de l’ordinateur, on voit bien la rupture d’usage en mobilité introduite par le smartphone, la rupture de confort introduite par la tablette, mais quelle est celle apportée par l’AVP ?

Une interface visuelle, oui, mais pour faire quoi ?

  • Ouvrir une application ? La belle affaire.
  • Rentrer des chiffres dans Excel, j’en doute.
  • Regarder un film ? On n’a pas vraiment un plus grand angle de vue que derrière un écran de bureau 27″ ou un home cinéma. Que la cible de clients à ce prix a par ailleurs déjà.
  • De la réalité augmentée ? Ça d’accord c’est nouveau, mais à quoi ça sert ?

L’intérêt d’une réalité augmentée, c’est d’avoir une réalité à augmenter.

Chez soi, on connait son canapé, son bureau, sa chambre à coucher. Vous voulez la composition de votre matelas ?

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On peut imaginer quelques usages qui s’y prêteraient, faire la cuisine, bricoler, mais c’est bien niche pour un produit plateforme.

Un produit confiné

Le bénéfice d’une réalité augmentée c’est d’aider à explorer le monde extérieur, ou d’aider à réaliser une tâche complexe, ce qui ne colle pas vraiment avec un contexte grand public (voir plus bas).

D’où l’axe d’innovation des Google glass, dont on a dit que c’était aussi la vision initiale de Tim Cook: des lunettes légères que l’on porte tout le temps pour accéder à de l’information additionnelle en surimpression.

On a vu depuis que le marché grand public était restreint, et on voit bien que ce n’est pas l’axe retenu par l’AVP. Personne ne va sortir dans la rue avec un masque de plongée à 3500 $ sur le nez.

Mais chez soi, qui va porter une AVP ?

La mise en œuvre est fastidieuse.

  • Il faut porter (où ?) une batterie qui ne dure que deux heures, qu’est-ce qu’on fait après ?
  • Tout le monde est myope, il faut des lentilles ou en amont avoir installé des verres correcteurs, sur prescription, un frein à l’achat et un coût non négligeable.
  • Il faut aussi mettre ses Airpods si on veut un son de bonne qualité,
  • Tout ça pèse 500 g sur votre tête, et ça chauffe un peu.

Et au bout du compte, vous faites peur à vos enfants et vous vous isolez de vos proches.

Dans la Matrix

Apple a fait de gros efforts pour tenter de limiter l’effet d’isolement, allant jusqu’à créer un écran extérieur pour restituer les yeux, ce qui doit coûter une petite fortune à réaliser, preuve qu’ils ont conscience que c’est une faiblesse majeure.

Est-ce convaincant ?

Non. Vous avez toujours l’air d’un scuba diver qui cherche ses palmes.

Bon courage pour rendre la possession d’un AVP glamour. L’étiquette otaku vous collera au front.

Vous voulez remplacer la télé du salon ? Mais une télé, ça se regarde à plusieurs. Ah, vous n’avez pas d’amis…

Ok, vous pouvez jouer dans votre salon à Tom Cruise dans Minority Report (2002), mais vraiment, 3500$ pour ça ? Et c’est surtout dans votre tête.

Apple explique comment ils ont créé un avatar double numérique pour permettre les interactions vidéos à distance. Sauf que les premiers testeurs dénoncent un effet artificiel, qui va justement à l’encontre de l’objectif d’une télécommunication vidéo. Dommage. Et pas surprenant. L’interaction humaine non verbale est très subtile.

Un produit mal marketé issue d’une vision bancale

On peut imaginer quel chemin Apple a suivi pour en arriver là. Probablement le même que Facebook. L’idée qu’il était possible de rééditer l’histoire d’internet en inventant un monde numérique parallèle au nôtre, territoire vierge potentiel infini de création de valeur.

Travaillant dessus depuis 8 ans, Apple a du imaginer pouvoir surfer sur les investissements de Facebook sur le multiverse en les coiffant au poteau avec une meilleur qualité d’interaction. 

Dans un monde où la donnée a de plus en plus de valeur il y a certainement du vrai à se dire que cela arrivera un jour. Qui ne rêve pas de faire la corvée des courses alimentaires sans devoir sortir de chez soi, par exemple dans un magasin virtuel ? 

Sauf que, et personnellement cela ne m’a pas surpris, malgré des milliards de $ engloutis, y compris en marketing, Facebook s’est planté, et maintenant Apple se retrouve en première ligne, avec des investissements à amortir, à devoir affronter un préjugé négatif sur les univers virtuels, qui ont d’ailleurs des limites très réelles par leurs côtés artificiels et dystopiques.   

Car en définitive, Apple a eu beau nous mettre en scène une jolie jeune femme dans sa grande maison au milieu de des amis, la cible naturelle de ce produit semble se concentrer sur deux segments:

  • Le hard gamer qui est sociologiquement plutôt un jeune homme célibataire de revenus faibles à moyens et pour qui ce produit, pour un usage principalement ludique, a un potentiel certain mais est loin de son pouvoir d’achat, et surtout, est concurrencé par des produits chez Meta, Microsoft, Sony à 500 € ou moins. Est-ce que ce marché a de la place pour un segment positionné très haut-de-gamme, où les contenus spécifiques pour ce produit n’existent pas et resteront très limités en volume, il est permis d’en douter.
  • Un usage professionnel ou de formation plutôt de niche (designers, architectes, médecins..) que l’on imagine aisément mais qui n’a pas la taille nécessaire pour amortir les dépenses d’investissement d’Apple et ne correspond pas à ses ambitions.

Aucun de ces deux segments ne pourra soutenir l’AVP.

Le marché financier l’a bien compris puisque l’action n’a pas bougé et que les premières estimations d’analystes parlent de quelques centaines de milliers de vente en année un et potentiellement un million en année deux si le prix baisse. À comparer à 225 millions d’iPhone et 47 millions d’Apple Watch en 2022.     

Une annonce opportuniste

Evidemment Apple est conscient des limites de son produit.

Pourquoi l’avoir sorti alors ?

D’abord il n’est pas sorti, mais annoncé pour 2024, on ne sait pas quand, et seulement aux US. Apple ne fait jamais d’annonce si vague et de sortie si restreinte. C’est bien la preuve qu’ils ont décidé d’y aller doucement, et les gens bien informés insistent sur le scepticisme qui prévaut en interne chez une partie des cadres dirigeants. 

Je vois deux raisons à cette annonce prématurée: 

  • Le besoin d’occuper le terrain face la vague de l’AI générative où le retard d’Apple est de plus en plus criant, voire même embarrassant, si on pense à Siri. Apple ne voulait pas subir la sanction boursière qu’a vécu Google à l’annonce de ChatGPT. Et c’est plutôt bien joué
  • Le souhait de Tim Cook de réaffirmer son leadership, son héritage, et son caractère irremplaçable alors qu’il prend de l’âge et que l’action est chahutée depuis un an et demi                    

On pourrait même en rajouter une 3ème, tactique et très terre-à-terre: tout le monde va en parler pendant 2 ans et ça fait de la publicité gratuite à Apple, cela assoit son image de marque innovante qui peut se permettre un premium de prix sur tous ses produits, en plus de générer du traffic dans les points de vente pour l’essayer.

Finalement tout ça rapporte plus qu’un éventuel « échec ».

Quel avenir ?

À mon sens, à l’horizon 3-4 ans, il y a deux scénarios probables :

  • Un scénario à la AppleTV : le produit est conservé en gamme avec des ventes limitées; quelques développeurs motivés, principalement du jeu et des applications professionnelles, remplissent le store. Une version dépouillée de son écran externe est sortie à moitié prix pour maintenir un peu d’interêt grand public et essayer de relancer les ventes. 
  • Abandon du produit.  Par exemple si Tim Cook était amené à quitter Apple.

Ce ne serait pas la première fois qu’Apple abandonnerait un produit suite à un échec commercial. On pense au Cube, à l’Apple HiFi, au Mac Pro cylindre de 2013, au Home Pod.

Vu les investissements réalisés et la masse de cash dont Apple dispose, je penche plutôt pour la première option. Mais il faudra sans doute 3 ou 4 itérations avant de sortir un produit qui trouve son marché.

Une remarque personnelle

Chacun a un rapport personnel à la technologie. Celle-ci est de plus en plus présente dans nos vies. On commence à voir de plus en plus de gens qui se définissent comme technophobes. Indépendamment de la qualité du produit dont j’ai rappelé les limites à date, le fait d’accepter ou non de se plonger dans une réalité virtuelle sera une position de principe en soi, et une partie importante de la population le refusera, ce qui en limitera d’autant le potentiel de croissance, d’une part en restreignant la taille du marché, d’autre part en forçant tout le monde à se positionner, basculant certains « neutres » dans l’abstention volontaire pour ne pas être catalogués « pour ».

Edit : Voilà qui confirme mon analyse : Sony refuse d’augmenter ses capacités de production pour l’Apple Vision Pro au delà de quelques centaines de milliers d’unités.

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