Apple Vision Pro sera un flop gigantesque

Un des principes de base du marketing grand public est qu’un produit doit avoir une USP, Unique Selling Proposition, c-est-à-dire que sa raison d’être doit pouvoir tenir en une phrase simple et convaincante.

Si le concepteur d’un produit ne peut pas dire simplement après tout le temps qu’il a passé dessus à quoi il sert, c’est mauvais signe, de plus ça priorise les fonctionnalités à développer, et dans un monde où le consommateur est bombardé de messages publicitaires, ça lui laisse une chance de ne pas être oublié dans les 10 secondes qui suivent le message.

Mais comme toute règle, elle a des exceptions, rares, les plateformes, à savoir les produits multi-usage: ordinateur, smartphone,… que l’on achète sans savoir à quoi précisément on va s’en servir, parce que ces usages sont multiples.

Qu’est-ce donc qu’Apple essaie de nous vendre ? Un produit ou une plateforme ?

Apple, 1ère capitalisation au monde avec 2800 milliards de $, est depuis longtemps en recherche d’un relais de croissance. On connait les grands produits de son histoire, le Mac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad, l’Apple Watch. Après avoir décidé en se limitant à l’Apple TV, le « hobby » de Steve Jobs, de ne pas entrer dans la télé connectée, et un peu déçue par l’Apple Watch qui tourne autour de 6-7% de son CA et sans doute moins de sa marge, on sait qu’Apple regarde le marché de la voiture autonome, mais que ce dernier n’est pas encore mûr.

Le malheur d’Apple est d’être maintenant tellement grosse qu’elle ne peut pas continuer à croître avec de simples produits, aux marchés limités face à ses ambitions. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec l’Apple Watch, qui reste essentiellement achetée comme une montre avec des fonctions de fitness.

Et donc Apple cherche à nous vendre son Apple Vision Pro comme une nouvelle plateforme informatique.

  • C’est clair à travers son prix élevé pour un nouveau produit grand public, 3500 €, à travers son marketing de lancement, « an entirely new spatial computing platform« , à travers les usages présentés : productivité, navigation internet, communication, capture vidéo 3D, divertissement, films et jeux, etc…
  • C’est clair aussi à travers les investissements réalisés, on parle en milliards de $, de 5000 brevets déposés, d’un nouvel OS dédié et le produit obtenu est technologiquement impressionnant et très complet.
  • Et c’est clair, aucune « killer app » qui en ferait un produit avec un usage bien identifié.

Mais voilà, Apple n’y arrivera pas.

Apple n’arrivera pas à vendre ce nouveau concept de plateforme

D’abord, c’est extrêmement difficile de créer un nouveau concept de plateforme.

Quand le Mac a été lancé (1984), les micro-ordinateurs personnels existaient déjà depuis presque dix ans. Quand l’iPhone a été lancé (2007) c’était plutôt un deux-en-un (téléphone + iPod), plus une fonction navigateur pour les rares geeks connectés, et il faudra attendre 3-4 ans pour que les ventes décollent, sur un concept de plateforme multi-applications. L’iPad (2010) a été un succès grâce à un prix très tiré (499$) et en bénéficiant des développements de l’iPhone. Comme vu l’Apple Watch a réalisé une performance commerciale très honorable (Apple représente 40% du marché des montres connectées) mais reste avant tout …une montre connectée, c’est-à-dire un produit de standing avec des fonctions forme et santé.

Ensuite, qui dit plateforme, dit multiplicité d’usages dans des situations multiples.

Et c’est là que le bât blesse.

Quel nouvel usage ?

Qu’est-ce qu’on peut faire avec l’Apple Vision Pro que l’on ne peut pas déjà faire ?

On voit bien la rupture de l’ordinateur, on voit bien la rupture d’usage en mobilité introduite par le smartphone, la rupture de confort introduite par la tablette, mais quelle est celle apportée par l’AVP ?

Une interface visuelle, oui, mais pour faire quoi ?

  • Ouvrir une application ? La belle affaire.
  • Rentrer des chiffres dans Excel, j’en doute.
  • Regarder un film ? On n’a pas vraiment un plus grand angle de vue que derrière un écran de bureau 27″ ou un home cinéma. Que la cible de clients à ce prix a par ailleurs déjà.
  • De la réalité augmentée ? Ça d’accord c’est nouveau, mais à quoi ça sert ?

L’intérêt d’une réalité augmentée, c’est d’avoir une réalité à augmenter.

Chez soi, on connait son canapé, son bureau, sa chambre à coucher. Vous voulez la composition de votre matelas ?

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On peut imaginer quelques usages qui s’y prêteraient, faire la cuisine, bricoler, mais c’est bien niche pour un produit plateforme.

Un produit confiné

Le bénéfice d’une réalité augmentée c’est d’aider à explorer le monde extérieur, ou d’aider à réaliser une tâche complexe, ce qui ne colle pas vraiment avec un contexte grand public (voir plus bas).

D’où l’axe d’innovation des Google glass, dont on a dit que c’était aussi la vision initiale de Tim Cook: des lunettes légères que l’on porte tout le temps pour accéder à de l’information additionnelle en surimpression.

On a vu depuis que le marché grand public était restreint, et on voit bien que ce n’est pas l’axe retenu par l’AVP. Personne ne va sortir dans la rue avec un masque de plongée à 3500 $ sur le nez.

Mais chez soi, qui va porter une AVP ?

La mise en œuvre est fastidieuse.

  • Il faut porter (où ?) une batterie qui ne dure que deux heures, qu’est-ce qu’on fait après ?
  • Tout le monde est myope, il faut des lentilles ou en amont avoir installé des verres correcteurs, sur prescription, un frein à l’achat et un coût non négligeable.
  • Il faut aussi mettre ses Airpods si on veut un son de bonne qualité,
  • Tout ça pèse 500 g sur votre tête, et ça chauffe un peu.

Et au bout du compte, vous faites peur à vos enfants et vous vous isolez de vos proches.

Dans la Matrix

Apple a fait de gros efforts pour tenter de limiter l’effet d’isolement, allant jusqu’à créer un écran extérieur pour restituer les yeux, ce qui doit coûter une petite fortune à réaliser, preuve qu’ils ont conscience que c’est une faiblesse majeure.

Est-ce convaincant ?

Non. Vous avez toujours l’air d’un scuba diver qui cherche ses palmes.

Bon courage pour rendre la possession d’un AVP glamour. L’étiquette otaku vous collera au front.

Vous voulez remplacer la télé du salon ? Mais une télé, ça se regarde à plusieurs. Ah, vous n’avez pas d’amis…

Ok, vous pouvez jouer dans votre salon à Tom Cruise dans Minority Report (2002), mais vraiment, 3500$ pour ça ? Et c’est surtout dans votre tête.

Apple explique comment ils ont créé un avatar double numérique pour permettre les interactions vidéos à distance. Sauf que les premiers testeurs dénoncent un effet artificiel, qui va justement à l’encontre de l’objectif d’une télécommunication vidéo. Dommage. Et pas surprenant. L’interaction humaine non verbale est très subtile.

Un produit mal marketé issue d’une vision bancale

On peut imaginer quel chemin Apple a suivi pour en arriver là. Probablement le même que Facebook. L’idée qu’il était possible de rééditer l’histoire d’internet en inventant un monde numérique parallèle au nôtre, territoire vierge potentiel infini de création de valeur.

Travaillant dessus depuis 8 ans, Apple a du imaginer pouvoir surfer sur les investissements de Facebook sur le multiverse en les coiffant au poteau avec une meilleur qualité d’interaction. 

Dans un monde où la donnée a de plus en plus de valeur il y a certainement du vrai à se dire que cela arrivera un jour. Qui ne rêve pas de faire la corvée des courses alimentaires sans devoir sortir de chez soi, par exemple dans un magasin virtuel ? 

Sauf que, et personnellement cela ne m’a pas surpris, malgré des milliards de $ engloutis, y compris en marketing, Facebook s’est planté, et maintenant Apple se retrouve en première ligne, avec des investissements à amortir, à devoir affronter un préjugé négatif sur les univers virtuels, qui ont d’ailleurs des limites très réelles par leurs côtés artificiels et dystopiques.   

Car en définitive, Apple a eu beau nous mettre en scène une jolie jeune femme dans sa grande maison au milieu de des amis, la cible naturelle de ce produit semble se concentrer sur deux segments:

  • Le hard gamer qui est sociologiquement plutôt un jeune homme célibataire de revenus faibles à moyens et pour qui ce produit, pour un usage principalement ludique, a un potentiel certain mais est loin de son pouvoir d’achat, et surtout, est concurrencé par des produits chez Meta, Microsoft, Sony à 500 € ou moins. Est-ce que ce marché a de la place pour un segment positionné très haut-de-gamme, où les contenus spécifiques pour ce produit n’existent pas et resteront très limités en volume, il est permis d’en douter.
  • Un usage professionnel ou de formation plutôt de niche (designers, architectes, médecins..) que l’on imagine aisément mais qui n’a pas la taille nécessaire pour amortir les dépenses d’investissement d’Apple et ne correspond pas à ses ambitions.

Aucun de ces deux segments ne pourra soutenir l’AVP.

Le marché financier l’a bien compris puisque l’action n’a pas bougé et que les premières estimations d’analystes parlent de quelques centaines de milliers de vente en année un et potentiellement un million en année deux si le prix baisse. À comparer à 225 millions d’iPhone et 47 millions d’Apple Watch en 2022.     

Une annonce opportuniste

Evidemment Apple est conscient des limites de son produit.

Pourquoi l’avoir sorti alors ?

D’abord il n’est pas sorti, mais annoncé pour 2024, on ne sait pas quand, et seulement aux US. Apple ne fait jamais d’annonce si vague et de sortie si restreinte. C’est bien la preuve qu’ils ont décidé d’y aller doucement, et les gens bien informés insistent sur le scepticisme qui prévaut en interne chez une partie des cadres dirigeants. 

Je vois deux raisons à cette annonce prématurée: 

  • Le besoin d’occuper le terrain face la vague de l’AI générative où le retard d’Apple est de plus en plus criant, voire même embarrassant, si on pense à Siri. Apple ne voulait pas subir la sanction boursière qu’a vécu Google à l’annonce de ChatGPT. Et c’est plutôt bien joué
  • Le souhait de Tim Cook de réaffirmer son leadership, son héritage, et son caractère irremplaçable alors qu’il prend de l’âge et que l’action est chahutée depuis un an et demi                    

On pourrait même en rajouter une 3ème, tactique et très terre-à-terre: tout le monde va en parler pendant 2 ans et ça fait de la publicité gratuite à Apple, cela assoit son image de marque innovante qui peut se permettre un premium de prix sur tous ses produits, en plus de générer du traffic dans les points de vente pour l’essayer.

Finalement tout ça rapporte plus qu’un éventuel « échec ».

Quel avenir ?

À mon sens, à l’horizon 3-4 ans, il y a deux scénarios probables :

  • Un scénario à la AppleTV : le produit est conservé en gamme avec des ventes limitées; quelques développeurs motivés, principalement du jeu et des applications professionnelles, remplissent le store. Une version dépouillée de son écran externe est sortie à moitié prix pour maintenir un peu d’interêt grand public et essayer de relancer les ventes. 
  • Abandon du produit.  Par exemple si Tim Cook était amené à quitter Apple.

Ce ne serait pas la première fois qu’Apple abandonnerait un produit suite à un échec commercial. On pense au Cube, à l’Apple HiFi, au Mac Pro cylindre de 2013, au Home Pod.

Vu les investissements réalisés et la masse de cash dont Apple dispose, je penche plutôt pour la première option. Mais il faudra sans doute 3 ou 4 itérations avant de sortir un produit qui trouve son marché.

Une remarque personnelle

Chacun a un rapport personnel à la technologie. Celle-ci est de plus en plus présente dans nos vies. On commence à voir de plus en plus de gens qui se définissent comme technophobes. Indépendamment de la qualité du produit dont j’ai rappelé les limites à date, le fait d’accepter ou non de se plonger dans une réalité virtuelle sera une position de principe en soi, et une partie importante de la population le refusera, ce qui en limitera d’autant le potentiel de croissance, d’une part en restreignant la taille du marché, d’autre part en forçant tout le monde à se positionner, basculant certains « neutres » dans l’abstention volontaire pour ne pas être catalogués « pour ».

Edit : Voilà qui confirme mon analyse : Sony refuse d’augmenter ses capacités de production pour l’Apple Vision Pro au delà de quelques centaines de milliers d’unités.

la suite d’apple

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J’avais cet article dans un coin de ma tête depuis un petit mois.

La soudaine annonce de la démission de Steve Jobs, qui à 56 ans abandonne la direction opérationnelle de l’entreprise qui était toute sa vie n’augure rien de bon sur sa santé. Je suis utilisateur de produits Apple depuis 26 ans, et je suis toujours fasciné par ce mélange de passion et de professionnalisme qui a toujours caractérisé cette société sous la direction de Jobs. Steve Jobs a révolutionné deux fois l’informatique, la téléphonie et la musique. Alors ce soir, comme une sorte d’hommage, je voulais finir cet article très vite, sans doute un des derniers que je ferais sur Apple

Apple vient de sortir son nouveau système d’exploitation, Lion. On peut y voir les prémisses de tendances importantes pour l’industrie de l’informatique:

– la souris va disparaître, peut-être plus vite encore que je ne l’imaginais il y a dix-huit mois, remplacée par des trackpads multi-touch (on attend toujours une traduction française) qu’on effleure de ses doigts. Une réussite

– les interfaces utilisateur mobiles (tactiles, sur tablette et smartphone) et PC vont vers une harmonisation. Il me semble que cela participe à la fois d’une synergie de coûts et d’un lock-in de l’utilisateur grand public, qui y trouvera un peu son intérêt par une simplicité accrue, quand l’utilisateur expert risque d’être un peu désorienté.

– cette harmonisation concerne aussi le système d’exploitation avec derrière la révision de la notion même de document et de celle d’application ouverte. Il n’est plus nécessaire de sauver les documents, cela se fait tout seul, et les versions successives sont conservées de façon transparente. On ne devrait plus perdre de document. On revient de loin. Les applis se chargent en mémoire ou se déchargent selon besoin, tout en conservant leur contexte (fenêtres et documents en cours). C’est espère-t-on la fin de ces paniques stupides où il faut tout ranger car quelque chose est en train d’exploser.Ces bénéfices seront disponibles largement…

… si tant est que les applis soient mises à jour par les développeurs. L’incitation est forte: courir ou mourir

– enfin à travers la généralisation du système d’app store, Apple à la fois reproduit le modèle de l’iPhone qui lui a si bien réussi pour générer des revenus supplémentaire tout en rendant le client captif, mais aussi porte un coup au piratage, en se donnant un contrôle plus fort sur ce qui est sur l’ordinateur du client. Enfin dans un premier temps, car celui-là n’est jamais vaincu.

– cela ouvre la voie à des usages en contexte de mobilité, en synchronisation forte sur les données, à travers des applis jumelles, et en s’appuyant sur le cloud, dont j’ai déjà parlé et sur leur nouveau et gigantesque data -center

– enfin pour finir des choix de design contestables avec la disparition d’éléments d’interface des applications pour mettre en valeur le contenu, sans doute dans un souci d’esthétique, mais également de simplification pour le grand public, tout en favorisant la concentration sur ce qui appartient au client, peut-être aussi en réaction à ce monde hyper-connecté et intrusif où nous vivons maintenant avec les réseaux sociaux.

Les bases pour une nouvelle et longue croissance sont bien là. Peut-être moins dans l’innovation mais dans un longue guerre de position. Apple s’attaque maintenant à Microsoft, et le gâteau est large. Espérons que Steve Jobs sera encore là longtemps pour nous en parler et nous faire rêver.

Acheter un hotel particulier avenue Foch pour 489 € ?

Un titre racoleur pour illustrer une réalité.

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Le joli décor ci-desous n’est pas le podium d’un DJ sur le point d’officier, c’est un Cray 2, un superordinateur extrêmement puissant qui sert à faire des calculs très complexes, par exemple de la prévision météo. Enfin, servait. Il date en effet de 1985. J’avais à l’époque eu l’occasion d’en voir un. Très impressionnant, baignant dans une lumière bleue fluorescente, on se serait crû sur le plateau d’un film de science-fiction.

Un de mes amis pouvait d’ailleurs lui lancer des instructions à travers le minitel, en passant par un ordinateur Digital Vax qui servait de portier. C’est vous dire si j’étais impressionné, à une époque où les micro-ordinateurs n’existaient quasiment pas chez les particuliers

A l’époque le Cray 2 coûtait 17 Million $. (pour une puissance de 2 Giga Flops, pour ceux qui aiment les chiffres)

Au taux de change de l’époque, ça fait environ 170 Millions de F

A cette époque, le m2 dans l’ancien à Paris faisait 8600 F.

Donc pour le prix d’un Cray 2, vous pouviez vous acheter…à peu près 20 000 m2. C’est même plus qu’un hotel particulier, c’est carrément le pâté de maison.

Et bien voilà, aujourd’hui, un ipad 2 a la puissance d’un Cray 2 de 1985, et vous le trouvez dès 489 €.

Si l’immobilier avait suivi la même tendance déflationniste que l’informatique, vous pourriez vous acheter un pâté de maison autour de l’Etoile pour 489 €.

Ça fait rêver, non ?

Le monde moderne. La presse mal partie

Je suis abonné au Monde que je reçois donc chez moi. Mais il arrive le soir. Et pas très régulièrement, sous l’effet combiné de grèves à l’impression, retards de la chaine de
distribution, flemmardise supposée du livreur, surtout quand il pleut, éventuelles rapines dans ma boite aux lettres, dont il dépasse toujours, ou simplement retour chez moi avant livraison par le livreur.
Comme abonné, j’ai aussi accès au site internet, en continu quand les articles s’ecrivent, dès 12-13H pour la version numérique du journal. Que je consulte donc, dans la journée si moment creux.
Au bout du compte l’experience utilisateur est médiocre.
Les journaux papiers s’accumulent. (Et pareil pour les Echos, qui m’ont offert un abonnement à l’essai). Je ne lis qu’une partie des articles car la mise en page electronique n’est pas la meme que sur le papier. Je ne sais plus ce que j’ai lu. Je ne sais plus ce que j’ai reçu. Je ne sais plus ce que je dois jeter.
A l’instant, j’étais en train de télécharger sur mon ipad la version qui se trouvait sous format papier *sous* mon iPad. J’ai levé les yeux parce que ça n’arrivait pas assez vite, et je m’en suis rendu compte.
La seule conclusion rationnelle que je vois, c’est de supprimer la version papier.
Ce qui ne va pas avantager les affaires de la presse.

Le marketing, le storytelling et la folle boussole de l’affaire dsk

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Quand on fait du marketing grand public, la qualité du boulot repose avant tout sur la capacité à comprendre ce que veulent les gens.

C’est toujours très riche de partir de son propre ressenti, mais tout le monde n’a pas l’empathie d’un de Niro ou d’une Binoche, et on voit tellement de marketeurs de comptoir dont l’égocentrisme a brouillé les facultés d’analyse, qu’en définitive, un reality-check est toujours utile et souvent nécessaire.

Ce que veulent les gens… Terme vague qui désigne aussi bien les power users, ces consomm-acteurs en avance de phase qui expérimentent un service souvent avec un brin d’intérêt maniaque, que Mme Michu, terme consacré, un rien méprisant, pour désigner le coeur de cible d’un produit mass-market, la fameuse ménagère de moins de cinquante ans, dont le salaire médian tourne autour de 1600€ nets par mois, autant dire qu’il n’y a pas beaucoup de marge pour le superflu, et que le produit / service mal pensé ira droit à la gigantesque poubelle des inventions géniales incomprises .

Et pour comprendre les gens, c’est intéressant de voir comment ils réagissent à des évènements un peu en rupture. En tout cas, moi, pour paraphraser Katerine je trouve ça fascinant.

Et alors là, avec l’affaire dsk on est vraiment servi.

On se croirait dans un vieux film de science-fiction où le monstre extra-galactique prend la forme que le dernier regard veut bien lui donner.

Comme un miroir qui renverrait à la société ses propres peurs, l’affaire dsk est devenue le terrain de jeu d’une compétition mondiale de storytelling, cet art consistant à mettre en musique quelques faits plus ou moins objectifs pour évoquer dans le cerveau de celui qui reçoit le discours l’illusion d’une logique, d’un sens, bref une histoire, qui le fera adhérer au message voulu par le communiquant.

Les médias ne subsistant que grâce à cet appétit terriblement humain du public pour les contes, enraciné dès la plus tendre enfance et depuis des millénaires, s’affrontent dans la surenchère, en particulier sur le net où l’attention est si infidèle. L’affaire dsk est selon certaines sources l’événement le plus médiatisé de ces 10 dernières années et dsk serait devenu l’homme le plus connu au monde !

Mais ce n’est rien face à la foule des Zorros anonymes débusquant la moindre miette d’information, et reconstituant la pièce montée sur leur timeline Twitter. Et parmi eux pleins de gens, avec leur mot à dire.

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Le décor est posé, le public est là, quelle pièce a-t-on jouée ?

Véritablement, tout et n’importe quoi, séparément ou simultanément:

– la lutte des classes, riche contre pauvre, bourgeois contre servante, capitaliste contre travailleuse, élite mondialisée contre immigration prolétarisée

– le racisme, blanc contre noir, occidental contre africain, américain contre français, un soupçon d’antisémitisme

– le sexisme, dominant contre dominée, mâle brutal contre femelle terrorisée, pratiques de harcèlement camouflées en approches de séduction

– la différence culturelle, vie privée contre droit à l’information, puritanisme contre libération des moeurs, journalisme de caniveau contre journalisme d’investigation

– le clivage des valeurs, monde moderne libertin contre éducation religieuse et traditionnelle, éthique musulmane et culture peule radicales.

– la récupération politique, gauche caviar nageant dans les millions, logique libérale du fmi, brevets d’immoralité pour avoir choisi un pervers, rumeurs, contre-rumeurs, démission collatérale de ministre dans scandale sexuel , ex-ministre accusé de pédophilie, ex-ministre irresponsable pour dénoncer sans preuve, pour ne pas dénoncer même sans preuve…

– le comparatisme France Etats-Unis, à toutes les sauces, équité de la justice américaine et de sa police versus leurs contrepartie gauloise corrompue, fonctionnaires irresponsable nommés contre représentants populistes élus, poids de l’argent qui protège les puissants et salit les victimes, prisons inhumaines surpeuplées et assassinat médiatique contre efficacité austère et impartiale

– le roman à l’eau de rose, l’amour aveugle envers et contre tout, le sacrifice d’une vie

– l’amour filial, indéfectible et gage de pureté

– les théories du complot, avec dans l’ombre sarkozystes maltraités dans les sondages, bloggeur et député UMP à gouverne, financiers de Wall Street endettés en grèce, pouvoirs russes et chinois opposés à l’érosion du dollar, et dernièrement gouvernement US souhaitant cacher la disparition de l’or de sa banque centrale, police sous influence élyséenne, procureurs approchés, …

– le feuilleton télé, où l’on a revu tous les détails de l’action, chaque version contredisant la précédente, aucune n’étant sourcée de façon indubitable, avec déjà les produits dérivés: faux clips, jeu vidéo, fausses photos, caricatures…

– le retour fracassant et annoncé définitif du féminisme, avec un mélange de généralisations hâtives inaudibles et d’anecdotes vécues terribles sur lesquelles flotte l’incertitude de leur représentativité

– en ombre chinoise non assumée, l’appât du gain entre en scène, mobile nécessaire d’un épisode qui laisse 57% des français dubitatifs, tandis qu’apparait à la lumière la réalité des dommages obtenus dans des affaires semblables avérées et symétriquement des tentatives de chantage déjouées.

… Il faut bien s’arrêter car il semblerait qu’on ait construit le mythe ultime: tout discours peut être dsk-isé, c’est-à-dire prouvé à partir d’une relecture de ce qui c’est passé à NewYork chambre 2806. Le plus étonnant étant peut-être que l’on ne connait toujours rien de la victime présumée… laquelle n’a d’ailleurs toujours pas porté plainte.

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Mais quelle story veux-je vous raconter ici ?

Peut-être le discours paradoxal suivant: le story-telling atteint ses limites. La production d’information devient de plus en plus incontrôlée et malgré l’attente du public, il devient de plus en plus difficile de lui donner un sens partagé et relativement incontestable. Quelque part, c’est inquiétant. Si on ne peut plus croire à rien, c’est le sens social qui se perd, les motivations d’agir qui s’émoussent. J’y trouve comme un climat d’avant l’orage. L’impression que quelque chose va éclater. Mais quoi ? La suite au prochain numéro ?

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Apple keynote

Quels sont les points importants de la dernière annonce d’Apple à ses développeurs ?

J’en note cinq:

– Steve Jobs est toujours vivant, et même s’il semble affaibli, souhaitons-lui de le rester longtemps.
– La souris elle va bientôt mourir. En tout cas, elle a disparu sur les portables qui représentent les 3/4 des ventes, au profit de trackpads et de gestes plus fluides que l’on retrouvera bientôt sur les macs de bureau
– Malgré un effort louable pour faire évoluer le système d’exploitation de leurs ordinateurs à travers des nombreuses astuces bien pensées, (j’apprécie particulièrement la gestion des versions de documents, les rendus plein écran, l’accès simplifié aux espaces de travail et la sauvegarde des contextes des applications quand on les quitte) le basculement vers le monde des appareils nomades est maintenant irréversible. Le signe le plus frappant est qu’il est maintenant possible de s’équiper en iPhone ou iPad sans avoir de PC. Cela concerne plus des deux tiers de la population chinoise et un quart de la population française. Vous pouvez maintenant connecter votre vieille mère technophobe à internet.
– On entre vraiment dans l’ère du cloud. Toutes vos données personnelles, carnet d’adresse, rendez-vous, mails, mais aussi documents, livres, photos sont maintenant synchronisées en temps réel, automatiquement entre vos ordinateurs et vos terminaux, même votre télé, à travers l’apple tv. Et celà gratuitement, tant qu’on reste sur des volumes limités. C’est la suite logique de MobileMe, un service bien pratique au quotidien. Plus que dans la sauvegarde ou l’accès ubiquitaire, la valeur est dans la synchronisation transparente pour l’utilisateur. Et comme Jobs le souligne, cela suppose la maitrise de l’OS des devices et de l’écosystème de développement. Seul androïd peut rivaliser. Mais la barre est haute.
– La musique reste le produit d’appel par excellence, et Apple cherche à capitaliser sur son avantage de premier retailer au monde pour continuer à vendre son ecosysteme matériel. La guerre des quatre, Apple, Amazon, Google et Facebook (avec spotify) va faire rage. Apple joue la carte de la qualité en offrant un service qui permet d’upgrader toute sa bibliothèque musicale à 256kbps AAC, un format pratiquement indistinguable de la qualité CD, sous réserve de la mettre dans le nuage, çe qui permet de la rendre disponible sur tous ses devices. Pour 25$ :-). Par an :-(. Une sorte d’entreprise de blanchiment gigantesque des énormes quantités de musique piratée qui résident sur les disques durs du grand public. L’offre est habile, mais suffira-t-elle à convaincre un public qui se détourne de plus en plus vers de la musique streamée à volonté ? En l’état, j’en doute, surtout après le flop du service viral Ping (dont on sait qu’il est dû au désistement à la dernière minute de Facebook). Mais à terme, sûrement, une fois qu’elle sera complétée par une offre de découverte de musique gratuite, qui doit déjà être dans les cartons.

En définitive, Apple a encore prouvé qu’elle était à la pointe de l’innovation technologique et que dans une industrie où les éléphants sentent l’appel du cimetière, elle avait les gènes pour survivre, dusse-t-elle muter sans regarder en arrière.

P.S: l’intégration à Twitter est frappante. Quand on la relie au clash qui a eu lieu avec Facebook, on peut se demander si, de même qu’Apple a choisi d’enterrer Flash, avec une première partie plutôt gagnée, Apple ne parie pas sur l’essoufflement de Facebook. Un pari qui pourrait être gagnant, car si Facebook n’est pas encore mort, des signaux faibles inquiétants apparaissent (à suivre dans un billet ultérieur…)

Dsk et dissonance cognitive

Seules deux personnes au monde savent ce qui c’est passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York le 14 mai 2011.
Pour autant il semblerait que tout le monde ait un avis.
57% des français pensaient le lundi suivant qu’il s’agissait d’un complot.

Beaucoup se sont gaussés de ce peuple enclin à chercher des explications alambiquées là où la vérité serait criante.
Pour autant, cette attitude, à la fois s’explique, mais finalement est plutôt rassurante.

Elle s’explique parce qu’il est difficile d’imaginer que quelqu’un en qui on a confiance (26% d’intention de vote pour 2012) puisse commettre un crime. Et parmi ceux qui ne souhaitaient pas voter pour lui, on peut imaginer que l’aura associée au statut de présidentiable, ancien ministre, président du FMI réputé compétent, faisait qu’ils lui accordaient aussi une certaine confiance.

On voit à l’oeuvre un processus assez classique appelé dissonance cognitive, qui consiste à essayer de rationnaliser a posteriori les éléments d’une situation perçue comme incohérente pour la rendre acceptable. Quitte à tordre un peu son objectivité.

Pour ne pas remettre en cause la conviction qu’une personne respectée professionnellement puisse avoir un comportement privé détestable, on récuse la possibilité même de ce comportement. Il est en effet très pénible de vivre avec l’idée qu’on puisse se tromper sur les gens.

A l’inverse certaines personnes très mal à l’aise avec le fait que dsk fût le prochain présidentiable le plus probable, n’ont aucune difficulté à accepter les accusations auxquelles il doit faire face, car elles les confortent dans leur choix de ne pas lui avoir fait confiance.

Ce sont souvent les mêmes qui, partant de la réputation bien connue de séducteur de dsk, infèrent qu’il a forcément un historique de violeur lui aussi connu, ce qui reste quand même à prouver, et que cet historique serait la preuve de sa culpabilité aujourd’hui, ce qui est une erreur de base.

On peut aussi facilement imaginer que l’opinion majoritaire américaine, qui a jugé plutôt la culpabilité, aura été influencée par un contexte négatif où entrent polanski, le libertinage de dsk contraire à la morale puritaine, la mauvaise image des français, le statut supra-national du FMI, la richesse de l’accusé, globalement des critères sans grand rapport avec le cas précis.

Donc tout cela s’explique, mais est quand même troublant. Au bout du compte des personnes de bonne foi en arrivent à avoir des certitudes, ou tout au moins des convictions, opposées sur un sujet auquel il ne connaissent quasiment rien, sinon par oui-dire de sources non validées.

L’attitude de déni est elle plus rassurante.
Elle signifie qu’il ne suffit pas qu’une personne inconnue en accuse une autre pour que celle-ci perde toute notre confiance. La vie est suffisamment compliquée pour qu’on puisse se donner le luxe d’un peu de recul, et attendre quelques faits établis avant de se faire une opinion définitive.
D’une certaine façon, c’est le pendant de la présomption d’innocence, qui rappelons-le est inscrite dans la déclaration universelle des droits de l’homme.
Plus qu’un symptôme de faiblesse de la démocratie, comme pouvait le voir Le Monde, j’y vois un signe de défiance envers les médias, qui au moment où ils n’ont pas encore fait leur travail d’analyse, pourrait être au contraire le signe d’une certaine vigueur de l’esprit critique, nécessaire à la démocratie.

P.S: il va sans dire que ce post n’est pas un plaidoyer pour l’innocence de dsk.

Vite fait sur l’Hadopi

Les débats font rage autour d’Hadopi, entre le président qui, à un an de la présidentielle, cherche à séduire les membres du Conseil National du Numérique en reconnaissant un demi-échec, et le ministre de la culture qui essaie de défendre son action en s’appuyant sur des sondages moins négatifs qu’il y a un an.

Il ne faut pas oublier l’objectif: la loi Hadopi vise, on l’espère, à garantir un revenu aux artistes, lequel est mis à mal par le téléchargement pirate (en partie seulement, car la musique vivante, les concerts, se porte elle très bien). Hadopi, donc, ne peut pas mesurer son succès par la disparition, supposée, des comportements frauduleux, qui n’est qu’un moyen parmi d’autres, mais pas un but en soi.

Il y a en effet un risque dans Hadopi, au-delà des difficultés d’application de la loi, des facilités de contournement, de l’atteinte aux libertés individuelles:
– et si la baisse de la consommation était liée au déclin de l’intérêt pour le concept d’album, consécutive à l’évolution du mode de consommation depuis la forme du CD physique vers celles de mp3 choisis à l’unité?
– et si le téléchargement pirate jouait un rôle de promotion gratuite, un peu comme une radio ?

On pourrait alors a tort se féliciter de l’efficacité d’une loi qui ne modifierait pas les tendances de fond, rejet du CD, tout en supprimant un facteur de promotion (télécharger pour découvrir).

Vivement les chiffres de l’édition musicale.

Pourquoi y a-t-il 24 heures dans un jour ?

prague2.jpgLe monde tourne depuis déjà quelque temps autour de fines aiguilles. Ces fines aiguilles qui surveillent le temps qui passe, et sans lesquelles les trains ne partiraient pas, les cinémas feraient faillite et les amoureux s’attendraient en languissant.

Ce temps si moderne, il est mesuré depuis longtemps, et sa mesure s’est d’abord imposée à nous: l’année, le jour, la nuit, sont les enfants de la nature. Mais qui a décidé qu’il faudrait 24 heures dans une journée. Et pourquoi ?

Pourquoi pas 12, 10, 20, 100 ?

Et bien on ne sait pas.

Alors on imagine.

On sait que cela était déjà joué entre l’Egypte et Babylone, à cette époque où l’on inventait l’écriture, vers 3000 avant JC

Il y a trois grandes théories:

l’astrologie: tout viendrait des 12 signes du zodiaque.

Selon des vestiges archéologiques, les signes du zodiaque étaient utilisés pour identifier les heures. Parce qu’elle tourne autour du soleil, la Terre voit tout au long de l’année le soleil se coucher dans des régions différentes du ciel. ces régions, repérées par des étoiles ont été identifiées à des signes du zodiaque.

Parce que la Terre tourne sur elle-même, pendant la nuit les signes du zodiaque tournent dans le ciel, d’où l’idée de les réutiliser pour compter les heures. Comme il y avait 12 signes du zodiaque, il y aurait eu 12 heures dans la nuit, et aussi dans la journée. Les 12 signes du zodiaques sont la conséquence probable qu’une année compte à peu près 12 mois lunaires (12,3 par rapport au soleil)

les mathématiques: les babyloniens comptaient en base 60, où 12 est une subdivision naturelle.

Très tôt, on a dû couper le jour en deux: la journée et la nuit. Dans la journée, pour mesurer le temps on utilisait certainement les ombres, à la manière d’un cadran solaire. Assez rapidement a dû s’imposer la notion de midi, une coupure physiologique nécessaire pour manger, et un moment où le soleil est au zénith et l’ombre quasi nulle. Bref on avait 4 demi-jours. La notion de demi-journée étant trop vague il a fallu aller plus fin, et rediviser. Par 2,3,4,5,6,7,8,9? Il est probable que 2 et 3 étaient trop grossiers, et que 6 avait l’avantage de pouvoir boucler sur 12 heures par journée, ce qui fait 24 Heures par jour. Ce qui avait aussi ses côtés pratiques: on peut diviser 6 par 2 et 3 et donc organiser un après midi entre deux ou trois activités.

Plus tard, la division en minutes et secondes apparaitra, considérée comme liée à l’utilisation de la base 60 par les babyloniens.

les mains: 12 phalanges

Avant de savoir compter vraiment, on devait être capable d’énumérer sur quelques unités. Sur 10 doigts, ou sur 12 phalanges par main (hors pouce). 6 heures serait l’option préférée si on compte sur 12 phalanges. Et comme la base 60 s’est imposée, on peut penser que c’était le cas.

Au final, peut-être les 3 théories se sont-elles conjuguées pour converger vers 6 heures par demi-journée.

En regardant bien dans votre superbe montre suisse, vous devriez maintenant apercevoir un babylonien qui compte ses phalanges…

Pourquoi la liberté d’expression est importante

Athenesdemocratie_1_-0e556.jpgMes derniers billets traduisent mon inquiétude sur la façon dont la liberté d’expression est attaquée de-ci, de-là, en France, mais aussi ailleurs.

Un dernier exemple en est donné par le pays président de l’Union Européenne, à savoir la Hongrie. Son gouvernement vient de mettre en place une loi qui peu ou prou l’autorise à contrôler ce qui est publié dans les médias nationaux. Avec sanctions à la clé pour ceux qui se rebelleraient.

La liberté d’expression, faut-il le rappeler, est une condition nécessaire de la démocratie.

La nature humaine étant ce qu’elle est, toute personne portée au pouvoir a la tentation de l’utiliser à son profit, et tout régime politique subit le risque de voir une oligarchie prendre le contrôle des différents leviers du pouvoir: exécutif, législatif, juridique, en sus de celui dont l’exécutif a la prérogative naturelle, le pouvoir militaire.   

Seule la liberté de dénoncer les abus peut effectivement enclencher des procédures diverses susceptibles de mettre une fin à ses abus. Voilà pourquoi il faut la protéger. Et celle-ci ne peut être qu’entière: on ne peut distinguer les expressions « importantes » de celles qui ne sont que du bruit. Celles qui dénoncent les abus et celles qui revendiquent des points de vue partisan. Le tout bien sûr dans la limite du respect de la vie privée et en évitant la diffamation.

Car il en va des attaques à la liberté d’expression comme de la rouille. Si vous laissez des points s’infiltrer dans le métal, ils s’étendent et pourrissent toute la structure. Pour cette raison, il est plus sage d’être très clair sur sa définition, et inflexible dans sa protection. Les gens de marketing savent bien que pour faire passer un message au grand public, il faut le simplifier au maximum, de façon à le rendre limpide (ce qui ne veut pas dire bête). C’est pareil pour la liberté d’expression, elle doit être entière et non négociable. C’est une condition nécessaire pour qu’elle soit prise au sérieux comme un véritable contre-pouvoir par ceux qui voudraient abuser de leurs prérogatives en espérant que ces abus restent cachés.

J’ai la faiblesse de penser que cette position est apolitique, ni de droite, ni de gauche, que tout gouvernement devrait y travailler, puisqu’après tout, elle est inscrite dans la devise de la France, derrière son premier terme.   

Certains penseront, sans forcément le dire tout haut, que la démocratie n’est pas forcément nécessaire.dictature.jpg

On peut bien sûr considérer que certains pays n’ont pas la culture, l’éducation les canaux de communication, les structures nécessaires pour faire fonctionner une démocratie. Après tout, c’est une machine compliquée, qui peut facilement aller dans le fossé. L’Histoire est pleine d’aventures populistes qui se sont terminées dans des bains de sang.

C’est donc une faiblesse de la revendication pour la démocratie: elle peut accepter une phase de transition, dont il est facile de manipuler les modalités pour la faire durer très longtemps.

On peut aussi récuser l’objectif d’une démocratie en tant que telle, en rejetant sa valeur morale ou en doutant de son efficacité à prendre les meilleurs décisions.

Sans vouloir entrer dans ce débat, somme toute tranchée à Athènes depuis 2500 ans, je voudrais insister cyniquement sur un point qui me semble un argument majeur pour oeuvrer vers des démocraties les plus entières possibles et dans le plus de pays possibles:

Le Monde est devenu complètement interconnecté, dans tous les domaines: marchand, financier, technologique, informationnel, mais aussi maintenant dans ses ressources énergétiques et dans son partage sur l’influence de l’évolution du climat.

De nombreux sujets critiques devront être traités dans le siècle en cours: partage de l’énergie suite à l’épuisement du pétrole, sécurité du nucléaire, réchauffement climatique, traitement d’épidémies diverses, crises financières, migrations, régulation de la croissance économique, extrémisme religieux, …De nombreux sujets qui pourraient déboucher sur des crises majeures, avec guerres à la clé, comme on en a tant vu dans les deux millénaires précédents.

Les grandes décisions ne peuvent plus se prendre dans un coin, elles doivent être prises en commun, c’est-à-dire acceptées par les représentants des citoyens et finalement, aussi par les citoyens eux-mêmes.

Or ces citoyens, le plus souvent, sont pour la démocratie, car ils veulent le pouvoir de renverser les gouvernements qui ne leur plaisent pas, voire s’accaparent une partie des richesses (historiquement, la démocratie est d’ailleurs née en Grèce en opposition à l’aristocratie terrienne et en permettant à chacun de réclamer publiquement justice: l’idée n’est pas neuve). Et aussi, parce que, derrière la démocratie se trouvent des valeurs de sécurité, de tolérance, bref, humanistes, avec lesquelles, pour la plupart, ils sont en accord, au moins en tout cas dans les pays les plus développés.

Pour que les citoyens du monde approuvent les grandes décisions nécessaires pour que ce monde évolue, il faut qu’ils soient en mesure d’accepter des compromis, lesquels sont souvent poussés par certains états bien identifiés. Et c’est là le point: si ces états ne sont pas démocratiques, il est douteux qu’ils arriveront à faire passer leurs réformes, auprès d’autres pays démocratiques, qui auront beau jeu de leur demander de cultiver d’abord leur jardin.

La transition vers des régimes démocratiques partout dans le monde est donc une condition forte pour gérer au mieux les crises devenues mondiales.

Et donc quelque part, comme un battement d’aile de papillon qui peut déclencher un cyclone à l’autre bout du monde, la revendication du respect de la liberté d’expression dans de banales affaires locales contribue à mettre en place le climat pour mieux gérer le monde.

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